En 2013, Patrick Zylberman, titulaire de la chaire d’histoire de la santé à l’École des hautes études en santé publique, publiait « Tempêtes microbiennes » sous-titré « Essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique ».
Cet ouvrage remarquable analysait les crises sanitaires des trente dernières années et portait un regard lucide sur les conséquences sociétales des pandémies type grippe aviaire, le monde venant d’être confronté à l’épisode grippe H1N1 de 2009-2010.
Patrick Zylberman nous montre dans cet ouvrage le processus qui a conduit à la mise en place dans les États de cadres d’actions construits autour des concepts de sécurité sanitaire, sécurité humaine ou biosécurité.
Ces concepts n’existent que par l’alliance entre santé et sécurité mise en œuvre par les États qui apparaissent comme les seules structures légitimes à limiter les libertés dans l’intérêt général de la santé humaine et à assumer les conséquences économiques considérables de la limitation de ces libertés.
L’ouvrage décrit très précisément la situation que nous connaissons en 2020 avec une approche en scénarios et des mesures prises en anticipation de scénarios plus que par des prévisions basées sur une réalité de plus en plus évolutive.
L’État, acteur le plus adapté pour gérer une crise globale, est paradoxalement celui qui est aujourd’hui le plus bousculé et remis en cause par les citoyens qui peinent à adhérer aux mesures prises faute pour cet État de disposer d’une légitimité reconnue et d’être confronté à une évaluation très critique de l’effectivité des mesures prises. De la même façon, l’État, en faisant du principe de précaution une norme de haut niveau juridique a pris le risque de voir considérablement atténuées les mesures qu’il peut décréter au nom du principe de préparation aux crises. La défiance aux vaccins est l’une des illustrations de ce paradoxe.
La prise de mesures restrictives des libertés comme la quarantaine (ou quatorzaine), la limitation ou l’interdiction de certaines activités entrainent des réactions touchant aux notions de justice et d’équité tant les rapports sociétaux sont marqués de plus en plus par de l’individualisme exacerbé jusqu’à l’égoïsme.
Patrick Zylberman dans le chapitre VIII de son ouvrage traitant du Civisme et de l’avenir des quarantaines rappelle opportunément que « la discipline nait d’un idéal civique ».
Les mesures permettant de gérer au mieux une crise sanitaire ne peuvent se fonder pour être acceptées ni sur une idéologie, ni sur l’évidence d’une pratique, comme le souhaiterait les scientifiques, ni sur le seul intérêt personnel comme chaque individu pourrait être tenté de le faire.
L’efficacité et l’adhésion aux mesures ne peuvent s’entendre que si les individus s’investissent individuellement et collectivement pour sauvegarder un bien commun qui est la santé humaine et qui ne peut se résumer à une addition de bonnes santés individuelles.
« Obéir pour son bien et contre son gré » c’est l’équation commune partagée par chaque citoyen et l’Etat…. Doit également t être partagée la vision entre la rationalité matérielle qui incombe aux décideurs et la rationalité formelle…graal des experts.
La réalité aujourd’hui est que chacun d’entre nous est légitime à attendre la même protection de l’État mais dans les faits, la réalité de cette protection est plus nuancée et il est indispensable que les décisions prises obéissent à des valeurs éthiques et politiques partagées…. Vaste chantier...
L’ouvrage se termine sur un constat toujours valable sept ans après sa rédaction  : La préparation exige trois sortes de capacité : le jugement qui est l’analyse politique des situations, la prévision, avec l’aide de modèles permettant de mettre un peu d’ordre dans la multiplicité des évènements et la vigilance qui est de la surveillance ; Or nous avons substitué au jugement la fiction, à la prévision des scénarios figés et des jeux de rôle et à la vigilance une propension à l’alarme…. Rien ou si peu pour favoriser la flexibilité et l’acceptation des contingences… »