--> Retour sur un épisode de vie
02 fév 2012
Retour sur un épisode de vie

La vie administrative m’a conduit en Corse après l’assassinat du Préfet Erignac en février 1998. J’y ai occupé les fonctions de chargé de mission auprès du préfet de Corse dans une période extrêmement difficile. Ce qui était au départ une mission tournée autour de la remise en ordre des administrations et de la communication des pouvoirs publics s’est transformé en une crise construite autour de l’affaire dite "des paillotes." Crise hors norme car niée par son responsable mais aussi développée par le politique qui n’a parfois pas voulu et parfois pas su gérer le dossier corse.
Cette affaire a été douloureuse. Elle a brisé à jamais des familles. J’avais souhaité en 2001 livrer un témoignage qui ne puisse pas apparaître comme un plaidoyer pleurnichard mais plutôt comme une tentative d’analyse du fonctionnement d’un Etat devenu de plus en plus difficile à réformer. L’exemple Corse n’était pas le seul que j’avais connu mais il a été un catalyseur. Les quelques lignes qui suivent sont extraites de l’Etat en Fuite.

Pourquoi un tel écrit ? Je me suis interrogé longuement avant de prendre la décision de publier. N’y a t’il pas outrecuidance ou inconscience à écrire même simplement une expérience,quand une partie de cette expérience est le miroir de dysfonctionnements auxquels j’ai été mêlé et mon rôle d’acteur subordonné à la volonté de mon supérieur direct.
Beaucoup de personnes m’ont posé la question de savoir pourquoi avoir obéi à des instructions qui auraient du apparaître illégitimes ? Cette interrogation vient en effet assez facilement et d’autant plus dans un confort apporté par le recul du temps qui facilite l’analyse. Je peux y répondre assez facilement en disant « par devoir et par sentiment ». Agir par devoir, c’est répondre à une demande même difficile. C’est aussi une conduite qui peut se présenter assez spontanément à l’esprit. Le devoir est obligatoire, il n’est point forcé. Alain, dans son journal écrivit un jour « dès qu’il y a doute, ce n’est plus le devoir, on cherche le convenable ou le moindre mal. Soit on écoute le sentiment, soit on écoute la vertu ». J’ai écouté le sentiment. Le contexte très particulier de la vie à la préfecture de Corse après l’assassinat d’un préfet est l’élément déterminant de cette conduite. Avoir été auprès d’un préfet qui succédait à son prédécesseur assassiné, avoir vécu isolé pendant quatorze mois auprès de lui, a créé un environnement de huis clos impossible à imaginer pour qui ne l’a pas vécu. Son précepte d’action de fermer les yeux sur les conséquences de son acte n’a pu inévitablement que se muer en mauvaise foi, celle qui se « lave les mains » des suites ; pour reprendre une expression de Paul Ricoeur qui a analysé longuement le concept de responsabilité et ses équivoques. Voilà pour les sentiments personnels.
Des considérations d’éthique plaident aussi pour le témoignage. Ayant été témoin, je suis comptable de la vérité. Ce droit à la vérité, ce droit à l’information est encore plus exigeant quand des institutions, des administrations sont en cause.

C’est ce devoir de vérité qui m’a conduit à dire ce que je savais dans l’affaire des paillotes. Je l’ai fait sans regret. Ma conception du service de l’Etat a toujours été identique au cours de ma carrière. Dissimuler les ressorts d’une crise dessert toujours.
J’ai été triste de voir qu’un débat puisse encore exister dans la tête de certains hauts fonctionnaires entre révélation et dissimulation dans la gestion d’une crise. L’analyse montre toujours que fuite en avant, manipulations, mensonges, sont le plus souvent mis en œuvre pour protéger des situations personnelles.
Dans toutes les situations dont j’ai pu avoir connaissance au cours de mes années de fonction publique, je n’ai jamais trouvé de raison d’Etat. Cette dernière, quand elle est évoquée, est habillée de tels oripeaux que sa contemplation ne peut procurer aucune joie, si ce n’est de la « joie mauvaise ». Il est vain d’attendre des retombées positives de la contorsion de la vérité.
Seul le temps peut être un élément de gestion. Or son analyse est aussi souvent altérée. Les questions que se posent régulièrement les acteurs d’une crise sont « ai-je intérêt à parler ? Telle ou telle action peut-elle être révélée sur l’instant ? Y-a-t-il des raisons avérées, profondes de gagner du temps ? » L’exercice, il est vrai, n’est pas facile car il faut savoir rendre publiques toutes les raisons d’une action qui a provoqué une crise.
La crise traversée en Corse n’a pas échappé à ce débat ainsi qu’à celui très ancien, de l’opposition entre les principes et les contraintes. Mais là aussi, sauf à ériger le cynisme en vertu, seuls deux niveaux existent : -le temps de l’action, le présent, où la contradiction ne peut être qu’assumée. - le temps de la réflexion, dévolu à l’historien, où ce dernier dispose des moyens de faire apparaître une ligne de conduite à une action.
Cette analyse peut être déclinée à tous les niveaux de responsabilité. L’homme politique ou le décideur ne doivent pas envisager uniquement le souhaitable, mais considérer également le possible et savoir peser ensuite sur les conséquences intentionnelles ou non des actes décidés. La navigation est difficile entre ces écueils. La tentation est grande de maintenir des principes au mépris du réel ou d’abandonner les contraintes au détriment des principes. La synthèse de ces deux difficultés est souvent ardue. La seule réponse honnête est d’assumer la responsabilité du choix. Max Weber n’avait pas dit autre chose dans ses analyses du comportement politique « il n’y a que deux péchés en politique, ne défendre aucune cause et n’avoir pas de sentiment de sa responsabilité. »

La réponse judiciaire à cette affaire a été hors norme. Il fallait condamner le représentant de l’Etat ; Cela n’a pu se faire qu’au prix de quelques contorsions. Les collaborateurs ont donc aussi été condamnés. En ce qui me concerne six mois de prison mais tout en reconnaissant que je n’avais commis aucune faute personnelle et que cette affaire relevait de la faute de service. De plus, compte tenu de mon attitude, les juges ont expressément demandé mon maintien dans la fonction publique. Quant au juge administratif, il a rejeté quelques années après le procès pénal toute demande d’indemnité des plaignants en l’absence de préjudice car les constructions étaient illégalement construites sur le domaine public maritime ...

L’Etat en fuite
Éditions du Rocher
ISBN 2 268 0393301
http://livre.fnac.com/a1168475/Gerard-Pardini-L-Etat-en-fuite

Partager cet article
Dans la même rubrique
Biographie