--> Comprendre les crises (87) : assurance versus prévention ?
25 fév 2023
Comprendre les crises (87) : assurance versus prévention ?

En 2014 un article de ce blog traitait de l’urgence à mettre en place une stratégie de gestion des risques à l’échelle nationale et idéalement à l’échelle européenne.
J’écrivais que faire l’impasse d’une politique de gestion des risques revenait à s’exposer ultérieurement à des gestions de crises hasardeuses. Il y a dix ans la contrainte budgétaire existait déjà et donnait un signal sans ambiguïté sur le fait que la réduction des ressources pouvant être allouées au traitement d’un problème ne pouvait être une donnée éludée et qu’il était donc nécessaire de se doter d’une politique publique de gestion des risques en adéquation avec les capacités de financement des secteurs publics et privés, y compris par les particuliers.

Les 30émes rencontres de l’Association pour le Management des Risques et des Assurances de l’Entreprise (AMRAE) qui se sont tenues le 1er février 2023 ont rappelé que l’assurabilité d’un monde confronté à des polycrises et des hypercrises est de moins en possible si l’on se contente des schémas traditionnels de couverture et de réponses aux crises.
Pour la seule France, les sinistres climatiques assurables ont atteint le montant de 10 milliards € en 2022 (coût multiplié par 5 depuis 2017), 270 milliards de dollars au niveau mondial (320 milliards en 2021). Une évolution à la hausse de cette sinistralité dans une proportion de 130% a été annoncée à horizon 2050 en ce qui concerne la France pour les seuls risques climatiques (hors coûts actualisés).
Les échanges de l’AMRAE ont principalement tournés autour de cinq pistes :
1) Accroitre le développement de la culture du risque pour l’ensemble des acteurs publics et privés en les incitant à faire de la prévention pour que la part de responsabilité de l’assuré soit plus élevée. Pour la France qui est habituée à un modèle ou l’État est considéré comme assureur en dernier ressort, même quand cela n’entre pas dans le champ assurantiel, cela va se traduire vraisemblablement dans les années à venir par un changement de paradigme avec une approche économique à l’anglo-saxonne posant le principe de la primauté des exclusions [L’indemnisation des propriétaires de l’immeuble Signal sur la cote vendéenne en est une récente illustration. Le Conseil d’État avait rappelé en 2018 qu’en droit français, le risque d’érosion des côtes sableuses est « prévisible, certain, progressif et irrémédiable » ce qui exclut une indemnisation par l’État des biens qui y sont exposés. Ce sont les parlementaires locaux qui ont donné une base légale à une compensation des propriétaires au titre des préjudices résultant de la perte d’usage de leur bien depuis l’arrêté municipal portant ordre d’évacuation et interdiction définitive d’occupation de l’immeuble en inscrivant l’indemnisation dans les lois de finances de 2019 et 2020].
2) Développer les assurances dites « paramétriques » ou « indicielles » qui déclenchent le versement des indemnisations à la survenance d’un paramètre ou d’un indice prédéterminé (la force du vent, la pluviométrie, le nombre de jours de soleil, mais aussi dans le cas d’assurance couvrant le fonctionnement d’une machine, le respect d’une donnée à ne pas dépasser…). Le principe de ces assurances est à l’opposé des garanties du système assurantiel classique qui se déclenche à la survenance du dommage.

3) Développer en Europe les émissions d’obligations bancaires « catastrophes », les « cat bonds » qui font maintenant partie des titres assurantiels largement répandus aux États-Unis et dans une moindre mesure en Afrique. Ils ont vu le jour après deux grandes catastrophes naturelles, l’ouragan Andrew en Floride en 1992 et le tremblement de terre de Northridge, en Californie, en 1994. Les prévisions de pertes des compagnies d’assurance se trouvèrent totalement dépassées avec un coût de près de 14 milliards de dollars par catastrophe alors que les assureurs avaient prévu 500 millions.
Ce dispositif permet de réduire le risque d’insolvabilité des assureurs et réassureurs qui vont partager les risques avec des investisseurs. Ces derniers perçoivent un intérêt élevé en cas de non survenance du sinistre (de l’ordre de 7%) mais si le risque se produit, il perd tout ou partie des intérêts voire le nominal (par exemple les cat bonds japonais couvrant le risque séisme remboursent à leurs détenteurs le principal à l’échéance (en général 3 ans) avec des intérêts conséquents sauf si un tremblement de terre survient et provoque des dégâts dont le montant est supérieur à celui prévu dans le contrat).
Le marché des cat bonds avoisine aujourd’hui les 150 milliards de dollars et il commence à s’intéresser au risque terroriste que les réassureurs, notamment ceux du Royaume Uni, ont commencé à modéliser depuis quelques années. Il présente également l’avantage d’être comptabilisés comme des fonds propres pour les réassureurs et constituent ainsi un facteur non négligeable de solvabilité. L’autre intérêt est que les catastrophes naturelles ou les attentats sont décorrélés des marchés financiers ce qui n’est pas négligeable dans le contexte économique actuel. Le rendement brut de ces obligations est supérieur à 10% alors que le risque moyen de sinistre est de l’ordre de 2% par an. Même si ce dernier taux est amené à évoluer à la hausse, le produit financier des CAT bonds est considéré comme attractif. De plus les risques inondations et sècheresses sont plutôt adossés à la solidarité nationale avec le mécanisme français très particulier de l’indemnisation des catastrophes naturelles qui place les assureurs en seconde ligne.
4) Faire évoluer le régime particulier français de l’indemnisation en dernier ressort par l’État. Le dispositif concerne aujourd’hui les seules catastrophes naturelles et le risque lié aux accidents nucléaires qui est plafonné pour les exploitants et fait ensuite intervenir l’État avec un mécanisme élargi aux signataires de la convention de Paris de 1960 (le dernier protocole date du 12 février 2004 avec une majoration du plafond d’indemnisation des victimes qui a été porté à 700 M€ à la charge de l’exploitant, auxquels s’ajoutent 500 M€ à la charge de l’État accueillant l’installation et 300 M€ à celle de l’ensemble des États par un système de mutualisation, soit un total de 1,5 Md€).
Les accidents nucléaires de Fukushima en 2011 et Tchernobyl en 1986 ont montré que le système assurantiel ne disposait pas de capacités financières suffisantes pour couvrir les risques et qu’il était indispensable de mettre en place un dispositif plus adapté qui devra vraisemblablement mixer plusieurs dispositifs (mutuelles d’opérateurs, fonds de garantie, auto-assurances …). L’industrie nucléaire est celle dont la culture de sureté est la plus forte mais il est impossible d’éliminer la probabilité résiduelle de survenance d’un accident grave dont les conséquences peuvent largement dépasser le périmètre du site industriel concerné et même celui de l’Etat concerné.
La tentation est également grande dans notre pays de faire supporter in fine par la solidarité nationale d’autres risques comme par exemple ceux liés aux cyber attaques par des groupes criminels ou des États. L’actuel conflit russo-ukrainien est à ce titre révélateur des potentiels effets désastreux que pourrait provoquer une déstabilisation des réseaux informatiques.
Aucune solution idéale n’existe, mais émerge bien l’idée force que la prévention de tels risques repose sur l’action individuelle des acteurs économiques, entreprises, collectivités et particuliers.

5) Le développement des assurances dites « captives »
Ce point est lié au précédent car le dispositif actuel qui repose comme nous l’avons vu ne peut rester en l’état. Le principe est simple, l’entreprise provisionne annuellement dans ses comptes des fonds pour couvrir totalement ou partiellement les conséquences d’un sinistre. Le dispositif est très ancien, il a débuté à la fin du 19eme siècle et s’est développé principalement autour de l’industrie pétrolière dans les années 1950/60 pour faire face au durcissement des conditions d’assurances par les assureurs et réassureurs.

Ce contexte montre bien qu’il est plus que jamais urgent et indispensable de disposer de politiques cohérentes sur la question associant État, entreprises, collectivités locales et particuliers. Comme je le soulignais dans l’article de 2014, cela nécessite également de de ne pas traiter un tel sujet sous le coup de l’émotion qui serait provoquée par un évènement, fusse t’il dramatique. Échafauder un dispositif cohérent de couverture des risques doit prendre en compte les causes de l’évènement et non l’évènement lui-même. C’est à ce titre qu’une politique robuste de prévention doit être déclinée.
Il faut également ne pas oublier d’étudier les biais cognitifs particulièrement significatifs quand on parle de risques et de crises…De nombreux risques sont surévalués dans l’inconscient des citoyens et des décideurs, ce qui conduit souvent à des allocations de ressources inadaptées. D’autres principes, liés à l’approche économique (chaines de valeur, aléa moral, comportements des acteurs …) sont toujours encore balbutiants.
Enfin, il faut aussi analyser les biais relevant des structures de gouvernance et de prise de décision sans omettre le poids de l’histoire qui explique souvent le style de prise de décision qui prévaut dans un pays et/ou dans une structure. Pour notre pays, cela est particulièrement sensible avec une approche privilégiant la prise en charge collective. Mais ce qui était acceptable il y a encore quelques décennies n’est plus forcément en phase aujourd’hui avec les nouveaux équilibres économiques et sociétaux qui se dessinent sous nos yeux.
Il serait dangereux de sous-estimer la difficulté de traiter l’équilibre entre l’individuel et le collectif en oubliant que plus la prise en charge collective est forte, moins les politiques de prévention seront efficaces car elles ne peuvent être basées que sur l’implication individuelle.
Une société dont les citoyens refuseraient la prise en charge d’une part du risque ne peut qu’être confrontée à plus ou moins brève échéance à de graves problèmes et à une remise en cause de ses structures, étatiques, locales, sociétales…

Sur le même thème dans ce blog
http://www.gerard-pardini.fr/spip.php?article141
http://www.gerard-pardini.fr/spip.php?article62

Partager cet article