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La publication en 2013 de l’ouvrage d’Étienne Klein En cherchant Majorana et une série de documentaires ont permis au grand public de découvrir ce physicien atomiste qui a été l’un des premiers à prédire dès les années 20 que la révolution quantique bouleverserait notre rapport au monde avec notamment la possible résolution de l’énigme de la matière noire qui compose l’univers et qui nous dévoilera un jour nos origines.
Le 15 août 2016, le lancement d’un satellite de communication chinois fonctionnant selon les principes de la mécanique quantique et offrant vraisemblablement une sécurité de communication quasi absolue, marque le début d’une nouvelle ère, celle des ordinateurs quantiques qui vont offrir à l’humanité une puissance de calcul phénoménale et sécurisée. Il nous faudra attendre peut être une vingtaine d’années pour prendre conscience de cette révolution qui apportera le meilleur comme le pire. Le meilleur en offrant à l’homme un niveau de connaissance inégalé, le pire en ouvrant la possibilité d’une dictature numérique.
Cet événement a relancé mon intérêt pour Majorana et ses écrits sur l’intrication quantique et sur les analogies entre les lois statistiques de la physique et celles applicables aux sciences sociales. Majorana va nous montrer que la mathématique quantique nous conforte dans notre humanité et que l’on ne peut soumettre les questions humaines à un déterminisme rigide. L’article sur la valeur des lois de la physique et de la statistique en sciences sociales a été écrit par Ettore Majorana, vers 1930- 1934 pour une revue de sociologie. Il écrira à Giovanni Gentile (inventeur de la parastatistique et grand ami de Majorana) de s’attendre à ce que « Bientôt on comprendra que la science a cessé d’être une justification pour le matérialisme vulgaire ». Il renoncera finalement à le publier et il faudra attendre 1942 et le travail de Giovanni Gentile Jr pour le voir paraître dans la revue "Scientia", (Vol.36, pp.58-66, en mars 1942). Il ne sera plus publié pendant de longues années et il faudra attendre 2006 pour une nouvelle publication en italien et en anglais. 2006 [dans le livre E. Majorana : Articles scientifiques, ed. par F.Bassani et al. (SIF et Springer ; Bologne et Berlin)]. Une traduction française par Françoise et Philippe Gueret n’a pas été publiée.
J’ai souhaité tenter une nouvelle traduction avec l’aide d’amis italiens et c’est ce texte qui est livré ici. Même si la lecture de cet article est aride, sa conclusion est lumineuse car elle redonne toute sa place à la prise de décision par les gouvernants et c’est ce qui m’a déterminé à insérer cet article dans ce blog.
Article
L’étude des relations, réelles ou supposées, qui existent entre la physique et les autres sciences, a toujours eu un grand intérêt en raison de l’influence toute particulière que la physique a exercé dans les temps modernes sur la pensée scientifique. Il est connu que les lois de la mécanique sont apparues dans la durée, comme le modèle de référence infranchissable de notre connaissance de la nature. Cela a conduit à justifier que de ce fait, elles devraient constituer un modèle identique pour les autres sciences. Cela justifie l’étude que j’ai entreprise.
1. La conception de la nature selon la physique classique.
Le crédit exceptionnel accordé à la physique vient évidemment par la découverte de ce qu’on appelle des lois précises, consistant en des formules relativement simples dont l’origine vient d’indications fragmentaires et d’expériences approximatives ; cela révèle l’existence d’une validité universelle, applicable aux nouveaux ordres de phénomènes à la condition que les expérimentations soient conduites avec un contrôle de plus en plus rigoureux.
Il est bien connu que, selon la conception fondamentale de la mécanique classique, le mouvement d’un corps matériel est entièrement déterminé par les conditions initiales (position et vitesse) , dans lequel le corps se trouve et par les forces qui agissent sur lui.
Quant à la nature et l’ampleur des forces pouvant créer des systèmes matériels, les lois générales de la mécanique stabilisent un mode naturel qui, quelque soient les conditions ou limitations, doit toujours être satisfait.
Ce caractère est possédé par exemple par le principe d’égalité entre l’action et la réaction, à laquelle se sont ajoutées au fil du temps d’autres règles générales, telles que celles concernant les systèmes liés (principe du travail virtuel) ou les réactions élastiques, et encore plus récemment, avec l’interprétation mécanique de la chaleur comme par exemple pour le principe de conservation de l’énergie en tant que principe général de la mécanique. En dehors de ces lignes directrices générales, il revient à la physique de découvrir le moment privilégié pour découvrir l’utilisation effective des principes dynamiques, c’est-à-dire la connaissance de toutes les forces en jeu.
Dans un cas, cependant, il est possible de trouver l’expression générale des forces générées entre les corps matériels : à savoir que ceux - ci sont isolés puis ils agissent réciproquement seulement à une certaine distance.
Dans ce cas, quelles que soient les forces électromagnétiques découvertes postérieurement et qui se manifestent seulement dans des conditions particulières, le seul effet de la force est réduit à la gravitation universelle, dont la notion a été suggéré Newton à partir de l’ analyse mathématique des lois de Kepler. La loi Newton est spécialement adaptée à l’étude des mouvements des étoiles, séparées par de vastes espaces vides, et elle peut effectivement s’apparenter à une action se produisant à distance.
Comme on le sait, cette loi est en fait suffisante pour prédire tous les aspects et avec une merveilleuse précision les performances de notre système planétaire. Une petite exception concerne néanmoins le changement séculaire que subit la périhélie de Mercure. http://www.astronomes.com/la-fin-des-etoiles-massives/verification-relativite/
Cela constitue l’une des principales preuves expérimentale de la récente théorie de la relativité générale.
Le succès sensationnel de la mécanique appliquée à l’astronomie a naturellement encouragé l’hypothèse que même les phénomènes les plus complexes de l’expérience commune doivent être attribués à un mécanisme similaire à la loi générale de gravitation.
Selon cette façon de voir, qui a donné lieu à la conception mécanique de la nature, l’ensemble de l’univers matériel semble obéir à une loi inflexible, de sorte que son état à un instant est entièrement déterminé par l’état qui existait à l’instant précédent ; c’est le signe que tout l’avenir est implicite dans le présent, en ce sens que l’on peut tout prédire avec une certitude absolue à condition que l’état actuel de l’univers soit entièrement connu. Cette conception totalement déterministe de la nature a reçu depuis de nombreuses confirmations ; les développements ultérieurs de la physique, de la découverte des lois de l’électromagnétisme à la théorie de la relativité, ont en effet suggéré un élargissement progressif des principes de la mécanique classique, mais ont, d’autre part, vigoureusement confirmé le point essentiel de la totale causalité de la physique.
Il n’est pas contestable que nous devons au déterminisme le principal mérite et presque exclusif d’avoir rendu possible le développement grandiose de la science, même dans des domaines éloignés de la physique. Pourtant, le déterminisme, qui ne laisse pas de place pour la liberté humaine et oblige à considérer comme illusions, dans leur finalité apparente, tous les phénomènes de la vie, renferme une véritable faiblesse : la contradiction immédiate et irrémédiable avec les données plus assurés de notre la conscience.
Je décrirai plus tard, la façon dont selon toute vraisemblance son dépassement final trouve à se justifier avec l’évolution des connaissances de la physique dans ces dernières années. Notre but consistera à illustrer le renouvellement que le concept traditionnel des lois statistiques doit subir à cause de la nouvelle voie suivie par la physique contemporaine. Mais pour le moment nous voulons toujours adhérer à la conception classique de la physique ; non seulement pour son considérable intérêt historique, mais aussi parce qu’elle est toujours largement connu au-delà du cercle des spécialistes.
Avant de clore cette introduction, nous croyons opportun de rappeler que les critiques au déterminisme se sont – dans la durée - multipliés, surtout récemment. Quant à la réaction philosophique, elle n’est pas sortie de son champ et a laissé pratiquement intact, le problème purement scientifique.
Une tentative de résoudre ce problème se trouve dans les travaux de G.Sorel « De l’Utilité du pragmatisme » (chapitre IV, Paris, 1921), qui représente la pragmatique actuelle et pluraliste. Selon les partisans de ce mouvement, l’hétérogénéité effective des phénomènes naturels semble exclure que nous puissions disposer d’une connaissance unifiée.
Chaque principe scientifique serait applicable à une approche particulière des phénomènes, sans jamais être en mesure d’aspirer à une validité universelle.
G.Sorel développe particulièrement la critique du déterminisme, déclarant que cela ne concernerait que les phénomènes qu’il considère relever d’une nature artificielle, caractérisés par le fait qu’ils ne sont pas accompagnés d’une appréciable dégradation de l’énergie (au sens de la seconde loi de la thermodynamique). Ces phénomènes se produisent parfois spontanément dans la nature, en particulier en astronomie, et constituent alors matière à simple observation ; mais le plus souvent ils sont provoqués par les expérimentateurs dans les laboratoires, qui prennent un soin particulier à l’élimination des résistances passives.
Les autres phénomènes, à savoir ceux de l’expérience commune ou de la « nature naturelle » dans lesquels interviennent les résistances passives, ne seraient dominés par des lois définies, mais dépendraient, dans une mesure plus ou moins grande, du Cas (phénomène de casualité).
Sorel se réfère explicitement à un principe métaphysique exprimé par GB Vico. Nous ne voulons pas discuter ici de l’importance accordée à un aspect particulier de la science telle qu’elle existait à un moment qui n’est plus le nôtre ; au contraire, nous devons souligner que le principe pragmatique, pour juger les doctrines scientifiques en fonction de leur utilité réelle, ne justifie pas la prétention de condamner en aucune façon l’idéal de l’unité de la science, qui a prouvé plusieurs fois son efficacité pour le progrès des idées.
2. Le sens classique des lois statistiques et les statistiques sociales.
Pour bien comprendre la signification des lois statistiques selon la théorie mécanique, nous devons nous référer à une hypothèse sur la structure de la matière, déjà familière aux anciens. C’est celle qui est entrée dans le domaine de la science au début du siècle dernière grâce aux travaux de Dalton (https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Dalton) ;
Ces derniers ayant notamment permis de valider les hypothèses de l’explication naturelle des lois générales de la chimie.
Selon la théorie atomique moderne, confirmée par les méthodes de la physique, existent dans la nature de nombreuses espèces de particules élémentaires indivisibles ou atomes, comme des corps chimiques simples ; l’union de deux ou plusieurs espèces d’atomes identiques ou différents, ou parfois d’atomes isolés, constituent les molécules, qui sont les dernières particules capables d’une existence indépendante dans laquelle on peut diviser une substance chimiquement définie.
Les molécules simples (et parfois aussi les atomes dans les molécules), loin d’occuper une position fixe, sont animés par un mouvement rapide de translation et de rotation sur eux-mêmes.
La structure moléculaire des corps gazeux est particulièrement simple. En fait, dans le gaz en état ordinaire, ces molécules simples peuvent être considérées comme particulièrement indépendantes, et à des distances considérables les unes des autres au regard de leur petite taille. Il en résulte, selon le principe d’inertie, que leur mouvement de translation est rectiligne et uniforme, subissant des changements presque instantanés de direction et dans la mesure de leur vitesse au moment des impacts.
Si nous supposons connaitre exactement les lois qui régissent l’influence mutuelle des molécules, on doit prévoir, selon les principes de la mécanique générale, qu’il suffit de savoir à un instant initial la disposition de toutes les molécules, leur vitesse de translation et de rotation, afin de pouvoir prédire, en principe (si nous avons la possibilité de réaliser des calculs complexes) quelles seront les conditions exactes du système après un certain temps. L’utilisation du système déterministe propre à la mécanique, souffre d’une limitation réelle de principe si l’on tient compte du fait que les méthodes ordinaires d’observation ne sont pas en mesure de nous faire connaitre exactement les conditions instantanées du système, mais ne nous donnent qu’un certain nombre d’informations globales. Par exemple, le système physique résulte d’une certaine quantité d’un gaz spécifique ; dans ce cas il suffit de connaitre sa pression et sa densité, pour prouver comme certaines toutes les autres variables, telles que la température, le coefficient de viscosité, etc…, qui pourtant pourraient faire l’objet de mesures spéciales. En d’autres termes, la valeur de la pression et la densité suffisent pour déterminer l’état du système du point de vue macroscopique, bien que ces deux paramètres ne soient pas suffisants pour déterminer à chaque instant l’exacte structure interne du système, c’est à dire la distribution des positions et la vitesse de toutes ses molécules.
Pour exposer avec clarté et concision, et sans aucun appareil mathématicien, la nature de la relation qui existe entre état macroscopique (A) et état réel (a) d’un système, puis d’en tirer certaines déductions, il faut bien sacrifier la précision, tout en évitant de modifier la substance même des faits. Il faut donc comprendre que l’état macroscopique A correspond à un grand nombre de possibilités réelles a, a ’, a’ ’....que nos observations ne nous permettent pas de distinguer.
Le nombre N de ces possibilités internes, selon la conception strictement classique de la physique est évidemment infini, mais la théorie quantique introduit dans la description des phénomènes naturels une discontinuité essentielle selon laquelle le nombre (N) de ces possibilités dans la structure intime d’un système matériel est réellement fini même si ce nombre fini est bien sûr immensément grand. La valeur de N donne une mesure du degré de d’indétermination caché dans le système ; Il est cependant préférable en pratique de considérer une grandeur proportionnelle à son logarithme, soit S = k log N, k étant la constante universelle de Boltzmann déterminé de telle sorte que S coïncide avec une quantité fondamentale, déjà connu, de la thermodynamique : l’entropie.
L’entropie est en réalité une grandeur physique comme le poids, l’énergie, etc., surtout que parce que comme les autres grandeurs elle jouit de propriétés additives : ainsi, l’entropie d’un système est égale à a somme des entropies des différentes parties composant le système. Pour le démontrer, il suffit d’une part, observer que le nombre de possibilités latentes d’un système composé est égal évidemment au produit de ses parties constituantes. D’autre part, il faut garder à l’esprit la règle élémentaire connue qui établit la correspondance entre le produit de deux ou plusieurs nombre et la somme de leurs logarithmes respectifs.
Le moyen de déterminer l’ensemble de configurations internes à, · a ’, a’ ’ ..... qui correspond à l’état macroscopique A, ne devrait pas poser de difficultés. Au lieu de cela, vous pouvez discuter si tous les possibilités individuelles a, a ’, a ".... devraient ou ne devraient pas être considérées comme également probables.
Selon une hypothèse que nous pouvons penser vérifiable (hypothèse ergodique ou presque ergodique ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypoth%C3%A8se_ergodique), si un système persiste indéfiniment dans un état A, alors on peut dire qu’il passe également d’égales fractions de son temps dans chacune des configurations a, a’’ ;
Nous sommes ainsi conduits à considérer effectives et donc également probables toutes les déterminations internes possibles. Cela constitue en fait une nouvelle hypothèse, puisque l’univers, loin de rester indéfiniment dans le même état est sujet à des transformations continues.
Nous allons donc admettre, comme une hypothèse de travail extrêmement plausible, mais dont les conséquences profondes ne peuvent parfois pas être vérifiées, que tous les états internes possibles d’un système à conditions physiques certaines sont tout aussi probables. Il en résulte ainsi et complétement défini un complexe statistique associé à chaque état macroscopique A.
Le problème général de la mécanique statistique peut se résumer ainsi : étant statistiquement défini, comme cela a été dit, le stade A initial du système, quelles sont les prévisions possibles au regard de son état au moment t ? Il peut sembler à première vue que cette définition est trop étroite, car en plus du problème de la dynamique, d’autres problèmes à caractères statistiques se posent, comme par exemple la température d’un gaz dont on connait sa pression et masse volumique ?
Et ainsi dans tous les cas où l’on veut - à partir des caractéristiques d’un système, à en définir l’état - il faudra déduire les autres données pouvant présenter un intérêt. Cette distinction pourrait être ignorée : en fait, l’incorporation dans le système d’instruments de mesure appropriés, permet toujours de reconnaitre l’état précédent.
Supposons donc que l’état initial du système étudié résulte d’un complexe statistique A = (a, a ’, a ".....) relevant de cas possibles et, comme cela a été dit, tout aussi également probables.
Chacune de ces déterminations concrètes change au fil du temps selon une loi qui, en accord avec les principes généraux de la mécanique, nous les fait toujours considérer comme strictement causales, de sorte qu’après un certain temps on passe de la série a, a ’, a’ ’... à une autre série bien déterminée b, b’, b ’’ .... ;
Ce complexe statistique (b, b ’, b ".....), constitué de N éléments tout aussi probables que le complexe A (selon le théorème de Liouville) https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9or%C3%A8me_de_Liouville_(alg%C3%A8bre_diff%C3%A9rentielle
définit toutes les possibilités de prévision sur l’évolution et les performances du système.
Pour des raisons que seule l’analyse mathématique complexe peut analyser, il arrive en général que tous les cas appartenant à la série b, b ’, b’ ’....sauf un nombre totalement insignifiant d’exceptions, constituent en totalité ou en partie, un nouveau complexe statistique B défini comme A à partir d’ un état macroscopiquement bien déterminé.
Nous pouvons alors énoncer la loi statistique selon laquelle il existe une certitude qu’un système pourra passer de A à B.
Comme cela a été dit, le complexe statistique B est au moins aussi grand que A, et il contient un certain nombre d’éléments non inférieur à N ; il en résulte que l’entropie de B est égale à celle de A ou plus.
Au cours d’une transformation qui se réalise spontanément conformément aux lois statistiques, il y a constance ou augmentation de l’entropie, mais jamais de diminution ; ceci est la base statistique de la célèbre deuxième loi de la thermodynamique.
Il est remarquable que, du point de vue pratique, le passage de A à B peut être considérée comme certain ; ce qui explique comment historiquement les lois statistiques ont été considérées comme aussi fiables que les lois de la mécanique. Il a fallu attendre les progrès de l’investigation théorique pour qu’on reconnaisse ensuite le véritable caractère de ces lois.
Les lois statistiques englobent une grande partie de la physique. Parmi les applications les plus populaires nous pouvons rappeler : l’équation d’état de gaz, la théorie de la diffusion, la conductivité thermique, la viscosité, la pression osmotique, et beaucoup d’autres semblables. Un point mérite une attention c’est la théorie statistique de rayonnement qui introduit pour la première fois dans le physique la discontinuité symbolisée par la constante de Planck. Mais il y a aussi une branche de la physique, la thermodynamique, dont les principes, bien que fondées directement sur l’expérience, peuvent remonter aux notions générales de la mécanique statistique.
Comme nous l’avons fait jusqu’à présent, nous pouvons résumer la signification des lois statistiques selon la physique classique :
l °) les phénomènes naturels obéissent à un déterminisme absolu ;
2 °) l’observation de routine ne permet pas de reconnaître précisément l’état interne d’un corps, mais seulement d’établir un complexe d’innombrables possibilité indiscernables ;
3 °) une fois établi un ensemble d’hypothèses plausibles sur les différentes possibilités, et supposées valides les lois de la mécanique, le calcul des probabilités permet la prédiction plus ou moins certaine des phénomènes futurs.
Nous pouvons maintenant examiner la relation qui existe entre les lois établies par la mécanique classique et ces régularités franchement empiriques qui sont connus avec le même nom en particulier dans les sciences sociales.
Il faut d’abord convenir que l’analogie formelle ne pourrait être plus proche. Quand il est énoncé, par exemple la loi statistique suivante : « Dans une société moderne de type européen, le taux de mariage annuel est proche de 8 pour 1000 habitants », il est assez clair que le système sur lequel nous devons faire porter nos observations est défini uniquement sur la base de certains caractères globaux en renonçant délibérément à enquêter sur toutes les données ultérieures (comme par exemple la biographie de tous les individus qui composent la société en question) dont la connaissance serait sans doute utile à prédire le phénomène avec une plus grande précision et sécurité de celles autorisées par la loi statistique générique ; cela n’est pas si différent quand nous définissons l’état d’un gaz par simplement la connaissance de sa pression et de son volume en renonçant à analyser toutes les molécules individuelles.
Une différence substantielle pourrait apparaitre dans le caractère mathématiquement défini des lois de la physique au regard de l’empirisme des statistiques sociales ; mais il est plausible d’attribuer l’empirisme des statistiques sociales (Nous entendons précisément l’inconstance de leurs résultats au regard de la partie due au hasard) à la complexité des phénomènes qu’ils considèrent, de sorte que vous ne pouvez pas définir exactement les conditions ou le contenu de la loi. D’autre part aussi la physique connaît des lois empiriques quand il étudie des phénomènes d’intérêt pure pratique ; comme par exemple, les lois sur le frottement entre les corps solides, ou sur les propriétés des propriétés magnétiques de divers types de fer et autres corps similaires. Enfin, vous pourriez donner une importance particulière à la différence des méthodes de détection, qui en physique, sont globales (avec juste la lecture d’un instrument de mesure pour connaître la pression d’un gaz, même si elle est dérivée de la somme des impulsions indépendantes que les molécules individuelles transmettent vers les parois du contenant), tandis que dans les statistiques sociales sont enregistrées habituellement les faits individuels ;
Mais même cela ne constitue pas une antithèse absolue, comme preuve de la possibilité des différentes méthodes de détection indirecte.
Étant ainsi données les raisons qui font croire en l’existence d’une analogie réelle entre les lois physiques et les statistiques sociales, nous sommes amenés à croire plausible que, comme les premières impliquent logiquement un déterminisme rigide, les dernières sont de leur part la preuve la plus directe que le déterminisme le plus absolu gouvernerait également les faits humains ; sujet qui a eu beaucoup plus de chance parce que, comme nous l’avons dit au début, il avait eu lieu, pour des raisons indépendantes, la tendance à voir dans la causalité de la physique classique, un modèle de valeur universelle.
Il ne faut pas considérer simplement comme une curiosité scientifique l’annonce que la physique, au cours des dernières années, a été contrainte d’abandonner son adresse traditionnelle en rejetant, de manière vraisemblablement définitive, le déterminisme absolu de la mécanique classique.
3. Les nouveaux concepts de physique.
Il est impossible d’expliquer avec une certaine perfection en quelques lignes le schéma mathématique et le contenu expérimental de la mécanique quantique [le lecteur qui souhaite approfondir sa connaissance dans ce domaine peut consulter l’article de Heisenberg, Die Physikalischen Prinzipien de Quantentheorie, Leipzig 1930].http://www.cnrs.fr/sciencespourtous/abecedaire/pages/heisenberg.htm
Nous nous limiterons donc à quelques conseils. Il y a des faits expérimentaux connus depuis longtemps (phénomènes d’interférence) qui décrivent de manière irréfutable, à la faveur de la théorie ondulatoire de la lumière ; d’autres faits révélés récemment (effet Compton) suggèrent, au contraire, de façon tout aussi décisive la théorie opposée corpusculaire. Toutes les tentatives pour régler la contradiction dans le cadre de la physique classique sont demeurées stériles, mais cela nous apparaît insignifiant.
Sauf que les faits ci-dessus, inexplicables, et d’autres non moins inexplicables et de nature diverses, et enfin à presque tous les phénomènes physiques connus à ce jour et encore insuffisamment expliqués, trouvent depuis quelques années une unique, merveilleuse et simple explication : celle contenue dans les principes de la mécanique quantique. Cette extraordinaire théorie est solidement fondée par l’expérience comme nulle autre ne l’a jamais été en tant que peut-être pas d’autre a jamais été ; la critique à laquelle elle est sujet ne peut remettre en cause de quelque manière sa légitimité et son utilisation pour la prévision efficace des phénomènes. Il nous faut préserver et encore plus, amplifier notre analyse pour assurer les futurs développements de la physique.
Les aspects caractéristiques de la mécanique quantique, qui diffère absolument de la mécanique classique sont les suivantes :
a) il n’y a pas de lois dans la nature qui expriment une succession fatale des phénomènes ; Même les lois ultimes qui concernent les phénomènes élémentaires (systèmes atomiques) ont un fondement statistique, permettant de stabiliser la probabilité qu’une mesure effectuée sur un système de manière déterminée donne un certain résultat, et ce, quelles que soient les moyens dont nous disposons pour déterminer avec la plus grande précision possible l’état initial du système. Ces lois statistiques indiquent un réel manque de déterminisme, et elles n’ont rien en commun avec les lois statistiques classiques où l’incertitude des résultats s’explique surtout par la renonciation volontaire, pour des raisons pratiques, d’analyser dans les moindres détails les conditions initiales des systèmes physiques. Nous verrons plus loin un exemple bien connu de ce nouveau type de lois naturelles ;
b) un certain manque d’objectivité dans la description de phénomènes. Toute expérience réalisée dans un système atomique y exerce une perturbation finie qui ne peut être, pour des raisons de principe, éliminée ou réduite. Le résultat de toute mesure semble donc plutôt concerner l’état où le système est amené au cours de l’expérience, que celui méconnaissable qui existait avant que le système ne soit perturbé. Cet aspect de la mécanique quantique est sans doute plus troublant, c’est à dire loin de nos intuitions ordinaires, plus que par la constatation de la simple absence de déterminisme.
Parmi les lois probabilistes concernant les phénomènes élémentaires, la plus connue est sans nul doute celle qui régit les processus radioactifs.
Chaque atome d’une substance radioactive présente une probabilité, mdt, de se transformer dans un temps infinitésimal dt suivant son émission, ou en particule alpha (noyau d’hélium), ou d’en d’autres cas, en particule bêta (électrons). Le taux de mortalité, m, est constant et il est soit indépendante de l’âge de l’atome, ce qui donne un forme particulière (exponentielle) à la courbe de survie ; la vie moyenne de l’atome est de 1 / m, et on peut déterminer de manière élémentaire par analogie, une vie probable, appelée parfois période de transformation.
Les deux sont indépendantes de l’âge de l’atome qui ne montre aucun autre signe de vrai vieillissement dans le temps. Il existe différentes méthodes d’observation, ou même pour l’enregistrement automatique de transformations individuelles qui se produisent dans le sein d’une substance radioactive et il est donc possible de vérifier par le moyen d’enquêtes statistiques et l’application de calculs de probabilités, que les atomes radioactifs individuels ne subissent aucune influence mutuelle ou externe en ce qui concerne l’instant de leur transformation.
En fait, le nombre de leurs désintégrations dans un certain intervalle de temps est soumis à des fluctuations dépend uniquement du caractère probabiliste des lois individuelles de la transformation.
La mécanique quantique nous a appris à voir dans la loi exponentielle des transformations radioactives, une loi élémentaire qui ne peut se réduire à un simple mécanisme causal.
Bien sûr, les lois statistiques qui se rapportent à la mécanique classique et qui concernent des systèmes complexes, conservent leur validité en mécanique quantique.
Cette dernière modifie en plus les règles pour la détermination des configurations internes et en deux différents manières, en fonction de la nature des systèmes physiques, donnant lieu respectivement aux théories statistiques de Bose-Einstein ou Fermi. Mais l’introduction dans la physique d’un nouveau type de loi statistique, ou tout simplement mieux probabiliste, au lieu du déterminisme supposé, oblige à revisiter les bases de l’analogie qu’on a établi (supra avec les lois statistiques sociales.
Il est incontestable que la nature statistique de ces dernières détermine au moins en partie la manière dont sont définis les conditions des phénomènes : d’une manière générique, c’est à dire proprement statistique cela permet de définir des myriades de possibilités concrètes. D’autre part, si nous nous souvenons de ce qui a été dit ci-dessus sur les tables de mortalité des atomes radioactifs, nous sommes amenés à nous demander s’il y aussi une vraie analogie avec les faits sociaux, qui se décrivent avec un langage très similaire. Tout à première vue semble l’exclure ; la désintégration d’un atome est un simple fait, imprévisible, qui se produit soudainement et isolement après une attente de des milliers et même des milliards d’années ; Rien de cela n’arrive pour des faits relevant des statistiques sociales. Cela pourtant n’est pas une objection insurmontable.
La désintégration d’un atome radioactif peut être enregistrée par un compteur automatique et de manière mécanique, ce qui est rendu possible par des dispositifs d’amplification adaptés. Il suffit de disposer d’artifices communs de laboratoire pour préparer une chaîne complexe et voyante de phénomènes qui sera commandée par la désintégration accidentelle d’un seul atome radioactif.
Rien n’interdit d’un simple point de vue strictement scientifique d’envisager comme plausible que l’origine des événements humains soit tout aussi simple, invisible et imprévisible. S’il en est ainsi, les lois statistiques des sciences sociales verront leur rôle augmenter. Leur rôle n’est pas seulement d’établir de manière empirique le résultat d’un grand nombre de causes inconnues mais surtout de donner à la réalité un témoignage immédiat et concret. Cette interprétation exige un art particulier, qui n’est pas le moindre de l’art de gouverner.
Ettore Majorana
En savoir plus :
Les documents biographiques se rapportant à cet article se trouvent dans l’ouvrage de E.Recami, L’affaire Majorana : Lettres, Témoignages, Documents ; Mondadori, Milan, 1987 et 1991 ; Di Renzo Editore, Rome, en 2000 et 2002.
[1] G. Sorel : De l’Utilité du pragmatisme (Paris, 1921), Cap.IV. ;[1a] W.Heisenberg, Die Physikalischen Prinzipien deQuantentheorie, Leipzig, 1930.
[2] E.Majorana : "Les lois statistiques Physique en valeur et en sciences sociales "(édité par G.Gentile jr.), Scientia, Vol.36, fichier du Février-Mars 1942, pp.58-66.
[3] E.Recami (édité et présentation) : "E.Majorana : La valeur les statistiques dans les sciences physiques et les sciences sociales ", Sicile (Catania 1 ; Mars 2006), la page culturelle (p.21)
[4] E.Recami : "Dans le centenaire de la naissance de Ettore Majorana" présentation, et de réduire, par E.Recami partie de E.Majorana, La valeur de la science en physique et en sciences de la statistique.
Le mystère Majorana ; Étienne Klein ; 2016.
https://www.youtube.com/watch?v=75cAxyEl2xY